La prévision est un art difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir.
Situation énergétique en Europe
La situation énergétique de l’Europe est délicate, en particulier pour l’hiver prochain. Nous allons nous concentrer sur la France métropolitaine, qui connaîtra un hiver excessivement tendu.
L’idée de cet article est de partager des faits sur la situation telle qu’elle est connue, et des suppositions sur comment elle pourrait évoluer. L’objet n’est pas de faire des commentaires ou des jugements sur les choix passés. Ces choix passés définissent le contexte de la situation actuelle, ils sont (très) différents entre pays voisins et n’ont pas été particulièrement coordonnés.
Quels facteurs influencent la production / l’importation d’énergies fossiles ?
Disponibilité énergétique :
L’Union Européenne est massivement importatrice nette d’énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon). Cela signifie que les besoins doivent être couverts par l’énergie disponible sur le marché mondial. L’énergie proposée par les pays exportateurs sur le marché correspond à de l’énergie qu’ils produisent et qu’ils ne consomment pas (à travers leur consommation intérieure). Pour simplifier un peu, de façon générale la consommation intérieure de ces pays est en augmentation, donc si leur production diminue, plafonne ou même augmente, mais moins vite que la consommation intérieure, alors les quantités mises sur le marché diminuent.
La production propre en Union Européenne est faible et diminue (Gaz de Groningue) d’une part, la production en Europe diminue en ce qui concerne la mer du Nord dans son ensemble. La Russie a annoncé qu’elle arrivait à son maximum de production, bien avant l’invasion de l’Ukraine.
En résumé, les besoins d’importation européen augmentent tendanciellement dans un contexte où les quantités disponibles sur le marché ont tendance à diminuer.
COVID :
La pandémie a eu pour effet indirect de brutalement réduire la consommation d’énergie au niveau mondial. La forte reprise qui a suivi, axée sur la consommation et, avec un effet de rattrapage, a fortement augmenté le besoin d’énergie. Faire varier le débit de production d’un puit n’est ni trivial, ni anodin sur sa production future et le volume total extrait.
Guerre en Ukraine :
Dans le contexte de la guerre qui se déroule en Ukraine provoquée par l’invasion de la Russie, l’Union Européenne a réagi en prenant des sanctions. Parmi ces sanctions, la réduction des importations de gaz et de pétrole (avec un calendrier différent). La Russie a pris des contre-sanctions en réduisant encore davantage ses exportations d’énergies fossiles vers l’Europe.
Ainsi, l’Europe qui était dans une situation tendanciellement difficile pour se fournir en énergie (rapport du Shift Project par exemple), se retrouve avec une crise énergétique brutale concernant les énergies fossiles.
En quoi ces facteurs impactent notre production d’électricité ?
Au niveau européen, la production d’électricité est fortement basée sur les énergies fossiles (gaz et charbon). Donc les difficultés présentées ci-dessus ont un impact sur la production d‘électricité.
A cela s’ajoute, au niveau français, une disponibilité historiquement catastrophique des réacteurs nucléaires principalement pour deux raisons. D’une part, le Covid a désorganisé la maintenance des réacteurs, et surtout, d’autre part, des problèmes de fissures inattendus engendrées par de la corrosion sous-contraintes sur les circuits de sécurité des réacteurs les moins âgés (et donc aussi les plus puissants) ont été découverts. Les réacteurs concernés ont été arrêtés. Que ce soit en termes de nombre de réacteurs ou de puissance, plus de la moitié de l’outil de production est à l’arrêt.
Production nucléaire en France (source : Edf.fr)
Septembre 2021 | Septembre 2022 | Évolution | |
---|---|---|---|
Production mensuelle | 29,0 TWh | 18,2 TWh | -37,2 % |
Production cumulée | 268,2 TWh | 209,2 TWh | –22,0 % |
Ce à quoi nous pouvons nous attendre
L’hiver est une saison particulièrement gourmande en énergie à cause du besoin de chauffage, donc toutes les difficultés vont s’exacerber à ce moment, surtout si l’hiver se révèle rigoureux. La France a une proportion singulièrement élevée de chauffage électrique et a donc besoin de tous les moyens de production en plus de recourir massivement à l’importation d’électricité lors des périodes de pointe. Ainsi, le fait de passer l’hiver sans trop de difficulté dépendra, comme chaque année, mais cette fois-ci de façon exacerbée :
- De la rigueur de l’hiver, de façon générale et au moment des pics de froid : il n’y a pas de raison d’être particulièrement optimiste ou inquiet,
- De la disponibilité des moyens de production : il y a des raisons d’être inquiet (disponibilité du parc nucléaire, production d’énergies renouvelables faibles en cas de situation d’anticyclone qui installe une période de froid durable en hiver, réserve d’hydroélectricité de retenue faible),
- De la possibilité d’importer de l’électricité des pays limitrophes lors des points de consommation : il y a des motifs d’inquiétude évident, puisque ces mêmes pays limitrophes manquent d’énergie fossile pour faire fonctionner leurs centrales thermiques.
Cependant il y a quelques motifs pour se rassurer :
- D’une part il y a un système d’effacement organisé pour aider à passer les pointes (dans ces moments-là réduire la consommation et augmenter la production ont des effets équivalents, la réduction est même plus favorable en ce qui concerne le réseau électrique). Des gros consommateurs contractualisent le fait de réduire significativement leur consommation sur demande du gestionnaire de réseau en étant rémunéré, que ce soit en réduisant ou arrêtant leur process, ou bien en ayant recours à leurs propres moyens de production.
- D’autre part, même si c’est très négatif sur de nombreux autres aspects (économie, chômage, etc.), les nombreux industriels qui réduisent ou cessent leur activité à cause du prix de l’énergie participent fortement à la baisse de la consommation pour cet hiver. Dans ce sens-là, le signal prix est efficace, mais ces effets sont délétères par ailleurs.
- Une baisse temporaire de la tension peut être décidée afin de réduire la puissance appelée et d’éviter toute coupure.
- Si c’est nécessaire, un délestage tournant peut être organisé, en évitant de toucher les acteurs les plus sensibles, afin d’éviter un blackout généralisé.
- Les stocks de gaz, même s’ils ne sont pas très importants au regard de la consommation annuelle, sont plutôt très bien remplis.
Ainsi, si la situation énergétique de l’hiver s’annonce très tendue, il est possible d’espérer qu’avec les efforts de chacun, il sera possible de passer l’hiver sans blackout, mais tout de même avec des désagréments passagers.
Pour aller un peu plus loin :
Si vous souhaitez en savoir plus sur le risque de tension du système électrique pour l’hiver prochain, n’hésitez pas à consulter l’étude proposée par RTE.
The Shift Project a réalisé un webinaire ici afin d’identifier les risques d’approvisionnements de l’Europe en Pétrole.